Une pour tous
De la rémunération adéquate du travail des femmes à la défense des droits des citoyens vulnérables, Marie Rinfret poursuit un inlassable combat pour la justice sociale.
Crise d’Oka, juillet 1990. Des membres de la communauté mohawk de Kanesatake bloquent une rue pour exprimer des revendications territoriales. Québec envoie un négociateur chargé de conclure une entente pour le démantèlement des barricades. À ses côtés se tient une jeune avocate, qui n’oubliera jamais l’expérience. « L’ambiance était émotive, relate Marie Rinfret. Le droit autochtone se trouvait en pleine effervescence à l’époque. Il a fallu régler une quantité de détails pour parvenir à rétablir la paix. » Au point qu’elle-même ne retrouvera son foyer qu’en septembre…
De ce baptême du feu, Marie Rinfret tire une conviction : la société doit apprendre de ses erreurs si elle souhaite s’épargner de pareils conflits. « Pour tisser des liens durables, on doit traiter les gens avec respect, empathie et ouverture, résume l’actuelle Protectrice du citoyen. Et agir ensemble dans l’intérêt du bien commun. »
La justice sociale, c’est son moteur. En 1980, elle lance sa carrière en créant une coopérative de recherche d’emploi dans un quartier déshérité de Québec. Après quelques années en pratique privée, elle choisit la fonction publique. Au Conseil du statut de la femme, elle rédige un avis sur la réalité des mères porteuses. Elle passe ensuite 12 ans au ministère de la Justice.
À partir de 2001, elle se consacre à la cause de la juste rémunération des Québécoises. Elle devient successivement secrétaire générale, commissaire, puis présidente de la Commission de l’équité salariale. L’exercice de comparaison des paies améliore la vie de milliers de travailleuses. Il encourage les employeurs à établir la valeur des tâches, notamment celles de tradition féminine, pour les rétribuer adéquatement. Il sert aussi les entreprises en les aidant à cerner leurs besoins en main-d’œuvre, précise l’administratrice agréée, qui donnera maintes conférences à ce sujet.
« Mon intérêt pour la reconnaissance du travail des femmes est né de l’expérience. À mes débuts en droit, il arrivait que des collègues m’appellent madame plutôt que maître devant la clientèle. » Son appui à la relève féminine lui vaudra le Mérite Christine-Tourigny, décerné par le Barreau du Québec.
En 2017, Marie Rinfret est nommée Protectrice du citoyen, choix entériné par les deux tiers de l’Assemblée nationale. Sa mission : appuyer l’administration publique québécoise dans ses efforts pour offrir des services adaptés à tous et à toutes. « Un défi constant, convient-elle. Il faut être à l’écoute des autres pour bien saisir leurs enjeux. »
Plus de 40 ans après Oka, la situation des personnes d’ascendance autochtone la préoccupe toujours. « Pendant longtemps, on n’a pas pris en considération la réalité de ces gens. Je ne suis pas dans le discours politique quand je vous dis qu’on a besoin d’une évaluation et d’une reddition de compte à ce sujet ! » Elle a embauché une ressource issue des Premières Nations pour mieux joindre ces communautés. Actuellement, elle implante un comité consultatif formé de gens appartenant à ces peuples et d’organismes alliés. La Protectrice du citoyen publiera un rapport sur le sujet, elle qui veille à la mise en œuvre des recommandations de la commission Viens.
Manuelle Oudar, chef de la direction à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, ne tarit pas d’éloges pour son amie de longue date. « Le sentiment de justice vit en elle depuis qu’elle est toute jeune. Son humanité, sa détermination et son audace méritent d’être soulignées. »
Hélène Vallières, vice-protectrice Affaires institutionnelles et prévention au Protecteur du citoyen souligne de son côté les qualités de gestionnaire de la lauréate : « Elle incarne un mode de gestion inclusif, qui favorise la collaboration et la recherche de solutions concrètes. »
Quand on demande à la lauréate son principal motif de fierté, elle n’hésite pas. « Ma plus grande contribution à la société, je l’ai faite avec mon chum », sourit cette maman de trois adultes accomplis, aussi grand-mère.
Touchée de recevoir le prix Hommage 2021, Marie Rinfret salue tous ceux et celles qui ont croisé sa route. « J’ai eu beaucoup d’opportunités dans ma vie, remarque-t-elle avec gratitude. Je ne pense pas en avoir jamais refusé une. » Son conseil à la relève ? Suivre son propre chemin avec confiance. « Quand on va vers l’inconnu, il faut accepter qu’on n’ait pas toutes les réponses. Pas grave. On les trouvera avec l’aide des autres. »
Partenaires du prix Hommage : Ministère du Conseil exécutif et Beneva