Portrait

Évoluer et se dépasser avec la jeunesse

Chantal Arbour a été enseignante, aide pédagogique individuelle et conseillère pédagogique au Cégep de la Gaspésie et des Îles avant d’être nommée directrice adjointe des études au Cégep Limoilou en 2007. Par la suite, Mme Arbour a continué de mettre à profit sa connaissance des enjeux liés à l’enseignement et à l’apprentissage au collégial en devenant directrice des études en 2012 puis directrice générale du Cégep en juin 2018. Elle est également membre de divers conseils d’administration.

« Je suis ébahie par ces jeunes qui sont ouverts à la nouveauté, à la diversité, qui sont informés et intéressés par les grands enjeux de société. C’est une jeunesse inspirante. D’être chaque jour mis en contact avec cette jeunesse allumée, ça pousse à aller plus loin. »

IAPQ – D’où vient votre intérêt pour le milieu collégial où vous avez travaillé toute votre carrière? Est-ce un hasard ou une destinée?

Chantal Arbour – Je souhaitais faire carrière dans l’éducation depuis mon plus jeune âge. Mon grand-père m’avait fabriqué un tableau vert et je prenais beaucoup de plaisir à « jouer à l’école ». À l’adolescence, j’aimais beaucoup lire et analyser les romans; cette passion s’est décuplée au collège. Comme la littérature et la psychologie, mon autre centre d’intérêt, ne s’enseignent pas vraiment au primaire ou au secondaire, je n’avais d’autre choix que de me diriger vers le réseau collégial, quoique j’aurais pu aller aussi vers le milieu universitaire. J’ai enseigné la littérature durant sept ans, mais après j’ai bifurqué vers l’accompagnement pédagogique. Ça m’a fait découvrir que ma réelle passion n’était pas seulement l’enseignement, mais aussi la pédagogie au sens plus large.

Parlez-nous de votre établissement, le Cégep Limoilou.

Le Cégep Limoilou fait partie des douze premiers cégeps mis en place en 1967, dans la foulée du rapport Parent. Il est né de l’heureux mariage entre l’Externat Saint-Jean-Eudes et l’École de technologie de Québec, et il a hérité d’une grande expertise dans les programmes techniques à dominante masculine (génie physique, civil, industriel et électrique, entre autres). Au début, il y avait surtout des garçons qui fréquentaient notre collège. Au fil des années, le Cégep a modifié sa carte de programmes. Notre population étudiante est maintenant constituée presque à parts égales de garçons et de filles, alors que dans la plupart des cégeps, il y a davantage de filles que de garçons. Je dois dire que ça donne une couleur différente d’avoir la parité en nos murs.

Outre cela, qu’est-ce qui distingue votre collège des autres?

Il y a un grand esprit d’innovation au Cégep Limoilou, qui est souvent en tête de peloton pour démarrer des projets. On a été parmi les premiers grands collèges à faire de la formation à distance et à mettre en place un parcours de formation-emploi destiné aux étudiants internationaux, qui bénéficient également d’un accompagnement individualisé de l’équipe du bureau international. On a aussi mis en place le projet CPA+ (connaître pour accompagner plus), qui fait un suivi personnalisé des étudiants avec des répondants dédiés à leur accompagnement. Au fil des ans, notre établissement a obtenu plusieurs certifications en environnement, avec des projets comme le retrait des bouteilles de plastique des machines distributrices ou la mise en place de jardins et de ruches sur le toit. Le Cégep aime aussi promouvoir les valeurs entrepreneuriales. Il fait partie des 12 premiers collèges à avoir adhéré au Projet d’éducation entrepreneuriale au collège, un programme qui permet aux étudiants de faire des ateliers de sensibilisation et de formation à l’entrepreneuriat et même de démarrer leur entreprise.

Durant la pandémie, on a offert à nos quelque 300 étudiants athlètes un programme généralement accessible qu’aux athlètes d’élite de la division 1. Il s’agit d’un encadrement personnalisé avec des ressources dédiées qui leur offrait un accompagnement sportif, pédagogique et aussi des conseils en matière de nutrition et autres saines habitudes de vie. L’Alliance Sport-Études a souligné cette initiative, qui pourrait inspirer d’autres collèges.

Justement, parlons de la pandémie. Comment a-t-elle affecté les jeunes cégépiens?

Bien que les jeunes du collégial soient nés avec le numérique, ils n’étaient pas nécessairement prêts à vivre ce grand confinement, comme nous tous d’ailleurs. Passer du temps sur sa tablette ou son cellulaire, c’est une chose, passer sa journée devant un écran à la maison pour étudier, c’est un mode de vie que peu de personnes avaient vécu avant la pandémie. Pour beaucoup de cégépiens, iI n’y a pas que les cours qui sont importants, mais aussi tout ce qui gravite autour : la radio ou le journal étudiant, la ligue d’improvisation, la troupe de théâtre, le sport, le café étudiant, etc. En mars 2020, du jour au lendemain, tout cela a disparu pour ne laisser que les cours en ligne. De plus, les contextes changeaient souvent : une semaine, c’était en virtuel, l’autre semaine, en présence ou en hybride, du sport, pas de sport…. Il a fallu modifier nos façons de faire plusieurs fois. Malgré cela, tout le monde – les étudiants, le personnel, les enseignants – a fait preuve d’une grande capacité d’adaptation et de beaucoup de résilience.

Comment avez-vous adapté votre offre de formations et d’activités?

Bien entendu, tous les cégeps ont mis en place des ressources pour accompagner les étudiants; pensons au soutien informatique, pédagogique ou psychologique. Tout cela, c’était la partie que je pourrais qualifier d’essentielle. Le reste a représenté un plus grand défi. À Limoilou, tout le personnel a travaillé en étroite collaboration pour faire vivre une expérience collégiale le plus près de la réalité possible à nos étudiants, en essayant de maintenir les activités, d’une façon ou d’une autre, ou en les adaptant au contexte. Chacun a usé de créativité pour joindre les étudiants de diverses manières afin de maintenir leur motivation. En arts visuels par exemple, il y a un projet qui s’est conclu par une exposition. On aurait pu simplement dire aux étudiants de photographier leurs œuvres et de monter un site web pour les exposer. Ils ont plutôt eu l’occasion de participer au processus de montage de l’exposition de A à Z. De voir leurs œuvres dans un tel contexte, c’est tellement plus gratifiant!

Il est certain que pour les étudiants qui ne s’impliquent dans aucune activité en dehors de leurs études, le temps a pu paraître plus long, mais tout de même, on offrait de l’enseignement comodal; les cours d’éducation physique avaient lieu en présence, de même que les laboratoires techniques. On appréhendait une chute de motivation pour la session d’hiver par rapport à la session d’automne, mais elle n’est pas venue. Quand je dis que les étudiants sont résilients, ils le sont!

Comment les enseignants se sont-ils adaptés de leur côté?

Ils ont revu la façon de donner leur matière. Un cours magistral de trois heures en classe, c’est possible, mais à distance, il faut le morceler et le dynamiser pour garder l’intérêt des étudiants. On a aussi acheté des logiciels, des tablettes graphiques et des outils, comme un tableau de plexiglas qui permet aux enseignants d’écrire comme s’ils étaient devant un tableau vert normal et aux étudiants de lire ce qui est écrit en même temps. Dans certaines matières comme le génie ou les sciences, où il y a beaucoup de formules, l’accès à ce type de matériel aide tant les enseignants que les étudiants.

Que retenez-vous de cette période intense?

Quand arrive une telle situation, le mot d’ordre, c’est de faire confiance aux personnes-ressources, qui sont des spécialistes de leurs domaines. Si on leur donne de la flexibilité, elles vont réaliser des petits miracles! La pandémie a exigé plus de flexibilité, plus d’ouverture et plus d’écoute. Ça nous a obligés à innover et, ça, ça doit demeurer, c’est important.

Les apprentissages faits durant la pandémie nous outillent pour la suite des choses. Il faut garder le meilleur de cette expérience. Ce serait trop triste de revenir en arrière! Malgré les écueils, on a considérablement enrichi la pédagogie durant la dernière année. Beaucoup d’enseignants ont développé du matériel vidéo pour mieux faire comprendre leur matière. On va réutiliser ces outils et en ajouter d’autres! Dans le futur, il faudra arriver à prendre ce qu’il y avait de bon avant et le jumeler avec les bons coups de la dernière année.

En étant flexibles dans nos approches, on a rejoint plus de monde et on a réveillé des passions. Il y a des personnes qui se sont dépassées dans ce contexte-là. Des enseignants ont levé la main pour aider et nous ont dit, par exemple, « Moi, j’en faisais de l’enseignement à distance à l’université, voulez-vous que je parle à des collègues pour les aider? ». On ignorait qu’ils avaient ces compétences. Il y a eu beaucoup de partage d’expertise, d’entraide et de collaboration. Ces valeurs doivent demeurer pour la suite.

C’est quand même plaisant d’être créatif, et malgré les défis que ça engendre, il y a une grande satisfaction derrière toutes nos réalisations. Les équipes sont fatiguées, c’est vrai, mais elles sont fières. Et moi aussi, je suis très fière d’elles. Les enseignants, les professionnels, les employés de soutien, les étudiants : tout le monde s’est mobilisé. On a fait des feux d’artifice malgré tout! Il faut garder ça, alimenter cette créativité, et aussi offrir des cadres de travail plus atypiques. 

Comment voyez-vous l’avenir?

Je le vois de façon très positive. La pandémie nous a fait travailler très fort sur notre résilience, sur nos façons de faire. On a remis beaucoup de choses en question. Mais il faudra peut-être combattre l’envie de revenir complètement en arrière. Dans nos organisations publiques, on a beaucoup des règles et on manque parfois d’agilité. Tout est inscrit dans un cadre dans lequel on doit travailler. Notre défi va être de continuer à penser un peu en dehors du cadre, de conserver cette agilité nouvellement acquise.

Et en ce qui concerne les étudiants du collégial?

Nous, on vieillit d’une année chaque année, mais nos étudiants, pour la plupart, ont toujours 17 ou 18 ans quand ils arrivent! On ne peut pas se permettre de devenir « vieux et plates », car, eux, ils seront toujours jeunes et remplis d’idées, de confiance en l’avenir. Tous les ans, une cohorte de nouveaux jeunes arrive avec de nouvelles idées, alors ils nous poussent forcément à nous dépasser et à toujours offrir le meilleur de nous-mêmes. C’est une chance de travailler dans un milieu avec des jeunes qui nous incitent à avancer, à ouvrir nos horizons.

Aux fins de publication, les propos de Mme Arbour ont été abrégés.