Portrait

Former et accompagner les gestionnaires publics

Guy_Laforest

Guy Laforest est directeur général de l’École nationale d’administration publique (ENAP) depuis août 2017. Professeur de science politique à l’Université Laval pendant 29 ans, M. Laforest a aussi travaillé comme directeur de département, directeur de programmes d’études et codirecteur de revue. Il s’est également impliqué comme vice-président administration-finances de l’Association internationale des études québécoises et il siège actuellement à l’exécutif du conseil d’administration de l’ACFAS.

« J’estime être un enfant de Max Weber, un économiste considéré comme un des fondateurs de la sociologie, qui a aussi analysé le capitalisme, la bureaucratie et le processus de rationalisation en Occident. Ses réflexions nous amènent, entre autres, à faire des liens entre un corps d’élite et une fonction publique dévouée, compétente, raffinée, avec le sens du devoir public. Selon Weber, si la fonction publique prend ses responsabilités, cela est susceptible de faire en sorte que les citoyennes et les citoyens vont davantage agir eux-mêmes de manière responsable. »

Institut d’administration publique de Québec – L’École nationale d’administration publique vient de fêter ses 50 ans. Dans quel contexte a-t-elle été fondée et dans quel but?

Guy Laforest – L’ENAP, c’est à la fois une université de 2e et de 3e cycle et une école professionnelle, d’abord et avant tout au service de la fonction publique du Québec, qu’elle soit provinciale, fédérale ou municipale. C’est aussi une fille de la Révolution tranquille. L’ENAP est associée au projet de modernisation de la société québécoise du début des années 60, véhiculé à la fois par les intellectuels, les artistes, les dirigeants politiques, et par les premières générations de hauts fonctionnaires que le Québec a connues —, les Jacques Parizeau, Claude Morin, Guy Frégault, pour ne nommer que ceux-là.

Quand Frégault raconte la Révolution tranquille, il résume ça en trois mots, empruntés en partie à Émile Nelligan : « Nous déjeunions d’aurores ». Pour moi, c’est le résumé le plus brillant et le plus concis pour parler de cette époque. La Révolution tranquille, c’était vraiment le début d’un temps nouveau, le petit jour d’une nouvelle journée. L’ENAP est née dans ce contexte; elle a participé au projet de donner une colonne vertébrale étatique, donc un État fort, à la société québécoise.

À la fin des années 40, André Laurendeau parlait de l’État du Québec, soit de rendre le système politico-administratif québécois capable d’agir dans tous les domaines de la vie politique, économique, sociale et culturelle, ce qui nécessitait d’avoir des employés armés des meilleures connaissances des sciences sociales modernes, notamment en gestion publique. L’ENAP a été ce cadre. Une école que l’État a souhaité mettre en place pour se doter d’un personnel-cadre, de gestionnaires, de professionnels, capables d’accompagner cet effort de transformation de la société québécoise. C’était à la base de la création de l’ENAP, intégrée dans le réseau de l’Université du Québec.

Vous êtes directeur général de l’ENAP depuis près de quatre ans. Qu’est-ce qui vous a amené à prendre les rênes de cette institution?

Les personnes qui m’ont encouragé à prendre la tête de l’ENAP m’ont donné une mission, qui me plaisait beaucoup, soit celle de rapprocher l’École de la fonction publique, à la mettre davantage à son service. J’aime bien l’image de la côte à monter. L’ENAP est située dans la basse ville de Québec alors qu’une grande partie des ministères et organismes sont situés sur la colline parlementaire. C’est tout près, mais en même temps, il y a cette côte à gravir, qui pouvait sembler à certains beaucoup plus abrupte qu’elle l’est en réalité. À mon arrivée, j’ai dû rappeler à certains dirigeants de la fonction publique québécoise, ou encore les convaincre, que leur ENAP, parce que c’est comme ça que je leur présente l’École, est leur partenaire privilégié pour la réalisation de leurs plans stratégiques et de leurs missions ministérielles.

Et au sein même de votre organisation, est-ce que votre arrivée a aussi provoqué des changements?

Je sentais que je devrais gérer l’organisation de manière collégiale, en équipe, en faisant ressortir les talents des uns et des autres et en laissant chacun autonome dans sa sphère d’action, quitte à parfois faire des arbitrages ensemble. Je voulais me concentrer sur mes forces et installer un climat propice au développement de chacun. On a entre autres mis en place un thème annuel qui guide nos actions, afin d’encourager les gens à faire preuve d’humanisme dans leur travail. En cette année de pandémie, c’est Modestie et bienveillance. Avant ça, on a eu Rigueur et bonne humeur, ainsi que La confiance sans complaisance.

Justement, comment votre organisation s’est-elle adaptée à la pandémie?

Ça a probablement été plus facile pour notre université de traverser la pandémie que pour d’autres universités, car nos étudiants sont plus âgés et plus de 85 % d’entre eux sont à temps partiel ou ont déjà un emploi. Il a fallu s’adapter bien sûr, mais ça a été une source d’immense fierté de passer de cours en présence aux cours virtuels sans provoquer d’hécatombe chez nos employés, nos professeurs et chargés de cours ou nos étudiants. Il a toutefois fallu être attentif au rythme de chaque groupe.

L’an dernier, l’ENAP a reconfiguré tous les cours universitaires en dedans de deux semaines. On est chanceux, car il n’y avait pas de cours avec des groupes de plusieurs centaines de personnes et le tiers de nos cours étaient déjà disponibles à distance. Il a fallu aussi revoir tous les programmes de formation continue. Notre personnel a travaillé d’arrache-pied pour être capable de finaliser le trimestre d’hiver et organiser les trimestres suivants, et je les en remercie.

On a fait le pari de reconfigurer nos cours pour qu’ils soient donnés à distance, pas juste pour terminer la session d’hiver 2020, mais dans une vision à long terme. Un an plus tard, on est très heureux d’avoir pris cette décision.

Au-delà de l’enseignement à distance, qu’est-ce que la pandémie a généré comme transformation pour votre secteur?

Une des choses que j’ai remarquée au cours de la dernière année, c’est que l’ensemble du réseau universitaire a vraiment bien servi la société québécoise. Les universités ont déconfiné la recherche de manière hâtive et l’ENAP a joué un rôle là-dedans. On les a aidées à comprendre comment agir sur un système politico-administratif en état de crise. J’ai pris un immense plaisir à participer à cela.

La pandémie nous a fait vivre des moments difficiles, mais travailler à ce que l’ENAP serve un peu d’intermédiaire entre le système universitaire et le système politico-administratif, c’est plutôt gratifiant. Cela a permis de créer et de renforcer des ponts de manière considérable depuis un an.

Le rôle de l’ENAP ne se résume donc pas qu’à de l’enseignement universitaire traditionnel, n’est-ce pas?

En effet. Certains étudiants vont compléter une maîtrise ou un doctorat alors que d’autres vont s’inscrire à des microprogrammes, qui les mèneront petit à petit à un programme diplômant. Parce qu’on est à la fois une université et une école professionnelle, nos étudiants s’attendent à y trouver un équilibre entre la théorie et la pratique. Ce dont ils ont besoin, c’est souvent ce dont les gestionnaires et les cadres de la fonction publique ont besoin : l’acquisition de compétences précises pour la prise de décisions ainsi que des modèles de leadership et de coaching de gestion publique. Pour les personnes qui choisissent la formation continue, notre direction des services aux organisations offre des programmes sur 10, 15 ou 18 mois.

À cela s’ajoute toute une panoplie de services comme du coaching pour les cadres ou de l’accompagnement pour établir des profils de compétences et définir les processus d’évaluation de candidats pour les postes de gestion. Nous faisons des mandats pour appuyer les ministères et les organismes dans leurs décisions stratégiques comme des sondages, des enquêtes, de la veille de bonnes pratiques ou des analyses comparées. Nous développons aussi des dispositifs propices à l’innovation et à l’animation du milieu. Bref, l’ENAP met à la disposition des acteurs publics des services intégrés permettant un accompagnement complet sur une multitude de défis que vivent les administrations publiques. Ces mandats sont réalisés grâce à des personnes expertes de l’ENAP issues des domaines du droit, de la finance, de la sociologie, de la science politique, de la gestion des ressources humaines, des communications, de l’économie, de l’évaluation des méthodes quantitatives, etc.

L’ENAP rend aussi disponible une ligne d’urgence pour les ministères et les organismes. S’ils ont besoin d’un soutien particulier dans un domaine précis ou encore pour la planification stratégique, le mentorat ou autre, nos experts sont là pour eux. Nos créneaux de recherche sont aussi extrêmement pertinents pour la fonction publique, qu’il s’agisse du commerce international, du leadership, du numérique, de la résilience urbaine, de la santé et des services sociaux, de la jeunesse en difficulté, de l’action solidaire et sociale dans les milieux municipaux et régionaux ou du développement durable, entre autres.

Votre offre de services est également accessible aux administrations publiques étrangères?

Ça fait presque cinquante ans que l’ENAP a une action internationale. Elle est partie prenante du déploiement de la politique internationale du Québec et s’avère une partenaire privilégiée du ministère des Relations internationales et de la Francophonie. Nos deux organisations collaborent en ce moment à un document intitulé « Une vision Afrique pour le gouvernement du Québec ». Depuis plusieurs décennies, notre organisation entretient des liens avec les écoles nationales d’administration (ENA) de près d’une vingtaine de pays de l’Afrique francophone. S’ajoutent à cela nos créneaux d’excellence en évaluation du développement et du renforcement des capacités des fonctions publiques, en y intégrant notamment la notion d’égalité entre les femmes et les hommes. En tant que Québécois, on arrive dans ces pays avec tous les attributs de la langue française, mais sans le poids du colonialisme de l’État français. En tant que Nord-Américains, on maîtrise aussi les tendances du management public anglo-américain. C’est une combinaison gagnante qui plaît aux pays francophones. Et ce partenariat inclut également une remarquable collaboration avec le gouvernement fédéral canadien, et en particulier Affaires Mondiales Canada avec qui nous menons plusieurs projets d’envergure en Afrique.

L’ENAP est aussi la seule université québécoise et canadienne à avoir signé un protocole d’entente avec le Groupe d’évaluation indépendante de la Banque mondiale afin de collaborer au renforcement du développement des capacités d’évaluation mondiale dans certaines régions clés, notamment l’Afrique francophone, les Caraïbes, la région du Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Je suis convaincu que les universités sont la colonne vertébrale d’une société. Partout où elles existent et sont solides, comme ici au Québec, les gens ont davantage confiance dans leur identité collective, dans leur avenir. Comme chef d’établissement, c’est ce que j’essaie d’amener à l’ENAP et aux gens qui travaillent avec nous : faire comprendre qu’on est des messagers de l’espoir pour l’avenir de la fonction publique et pour l’avenir de la société québécoise. 

Aux fins de publication, les propos de M. Laforest ont été abrégés.