Portrait

La science au cœur des politiques publiques

Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec

Rémi Quirion occupe le poste de scientifique en chef du Québec depuis sa création, le 1er septembre 2011. À ce titre, il préside les conseils d’administration des trois Fonds de recherche du Québec. Il conseille également le ministre de l’Économie et de l’Innovation en matière de développement de la recherche et de la science.

La mission des Fonds consiste à promouvoir et à soutenir financièrement la recherche, la mobilisation des connaissances et la formation des chercheurs au Québec ainsi qu’à établir les partenariats nécessaires à l’accomplissement de leur mission.  Avant d’être nommé à ce poste, Rémi Quirion a mené une brillante carrière de chercheur en neurosciences et a remporté de nombreux prix.

« Les 75-80 étudiants que j’ai formés au doctorat et postdoctorat lorsque j’étais professeur à l’Université McGill travaillent partout dans le monde. C’est ma famille scientifique et j’en suis très fier. J’ai appris autant d’eux qu’ils ont appris de moi. »

IAPQ – Quel est le rôle du scientifique en chef et comment arrivez-vous à faire votre travail, sachant qu’il y a de si nombreux domaines de recherche?

Rémi Quirion – Le poste de scientifique en chef s’inspire d’un modèle britannique qui existe depuis les années 60. Bien que je relève du ministre de l’Économie et de l’Innovation, mon rôle premier est de donner des avis scientifiques à l’ensemble des administrations publiques québécoises. Je préside également les conseils d’administration des trois fonds liés aux grands secteurs de recherche. Outre la santé, il y a un fonds axé sur la science, les mathématiques et le génie ainsi qu’un autre sur les sciences sociales, humaines, les arts et les lettres. Quinze experts siègent à chacun des conseils d’administration. Cela fait donc une banque de 45 spécialistes pour m’épauler ou encore me diriger vers d’autres scientifiques si nécessaire.  

Bien que la crise de la COVID-19 a eu des effets dramatiques, entre autres sur l’économie et la santé des personnes, elle a eu un effet plutôt positif pour le rayonnement de la science, n’est-ce pas?  

En effet, on voit davantage les scientifiques dans les médias et le citoyen mesure mieux l’importance de leur travail. Par ailleurs, on parle plus de science ouverte maintenant. C’est à mon avis la plus grande avancée. Les scientifiques avaient déjà l’habitude de collaborer entre eux, mais avec la pandémie, il a fallu rehausser cette collaboration. Par exemple, lorsque des chercheurs chinois ont mis la séquence du génome du virus sur de grandes bases de données ouvertes, ça a permis à des scientifiques d’un peu partout à travers le monde de comparer les informations puis d’engager les spécialistes en virologie à comprendre le mécanisme d’action pour développer des vaccins, et ce, dans un laps de temps assez incroyable. Jamais je n’aurais pensé l’été dernier qu’on vaccinerait des citoyens dès le mois de décembre!

Est-ce que cette façon de faire pourrait donner des résultats plus rapides pour mener la lutte au cancer ou à d’autres maladies graves?

La recherche restera toujours compétitive. Mais oui, certains cancers ou autres maladies qui sont difficiles à comprendre, comme l’Alzheimer, ou encore de grands défis de société comme les changements climatiques, pourraient bénéficier des nouveaux ponts qui ont été créés.

Certains enjeux environnementaux présentent des défis similaires à une pandémie mondiale, et pour ça, il n’y aura pas de vaccin! Plus que jamais, il faut baser nos actions sur la science pour diminuer la production de gaz à effet de serre et utiliser davantage des approches de science ouverte pour trouver des solutions nouvelles à nos grands enjeux de société.

On parle de plus en plus de la santé mentale comme d’un problème collatéral majeur de la pandémie actuelle. Les chercheurs y travaillent-ils également?

Dès le début de la pandémie, les chercheurs du privé et du public au Québec se sont mis ensemble pour trouver des solutions à la crise. Après avoir débloqué des fonds, on a reçu plus de 700 propositions de projets en quelques semaines. Au début, la majorité des propositions de recherche étaient liées au virus lui-même : le mécanisme du virus, le vaccin, les effets secondaires, les problèmes pulmonaires, etc. Puis, on a vu arriver des propositions pour étudier des problèmes de société relatifs à la santé mentale, la violence, la solitude, la dépression, la toxicomanie, afin de trouver non seulement des solutions à court terme, mais aussi de se pencher sur les effets à long terme de la pandémie. Par exemple, on étudie les conséquences de la crise sur les jeunes du primaire et du secondaire. Même si la plupart de ceux qui développent la maladie éprouvent peu ou pas de symptômes, pourraient-ils avoir des séquelles physiques dans les années à venir? Est-ce que les nouveaux modèles d’enseignement virtuels ou hybrides influenceront leurs capacités d’apprentissage, le taux de décrochage ou leurs habiletés sociales?

Le Québec a entrepris un important virage numérique au cours des dernières années, virage qui s’est accentué avec la pandémie. Se fait-il également de la recherche de ce côté?

Depuis une dizaine d’années, le Québec se démarque dans le domaine de l’intelligence artificielle. Il fait aussi figure de pionnier en matière d’éthique et d’utilisation des données en intelligence artificielle, avec ce qu’on appelle la Déclaration de Montréal. Les citoyens ont été appelés à discuter et à travailler avec des chercheurs pour déterminer ce qui est acceptable ou non. Il nous reste toutefois beaucoup de travail à accomplir concernant l’accessibilité aux données afin de pouvoir faire davantage de prévention ou encore d’être plus précis dans le développement de nos solutions. Par exemple, de savoir où sont les déserts alimentaires ou encore les îlots de chaleur dans les municipalités permettrait de déployer des actions ciblées pour les citoyens de ces quartiers.

Vous parlez ici de santé publique, il semble que nous n’ayons pas assez investi dans ce domaine les dernières années, n’est-ce pas?

Oui, et ce n’est pas unique au Québec. Comme il y avait peu de grands cataclysmes dans les pays européens ou en Amérique, on a vraiment désinvesti en santé publique. Avec la pandémie, on s’est vite rendu compte que c’était une erreur. Il va y avoir d’autres crises. Pas juste des virus, il faut aussi penser à l’impact des changements climatiques, à la pollution, à l’obésité, à l’accès à l’eau potable, etc. Tout ça aussi fait partie de l’approche de santé publique. Il faut investir davantage en recherche afin de diminuer les conséquences de ces tragédies à venir.

Si on investit davantage, cela va nous prendre plus de chercheurs? Avez-vous un rôle à jouer pour intéresser les jeunes à faire carrière en science?

Les Fonds de recherche du Québec investissent 40 % de leurs budgets dans des bourses d’excellence pour les étudiants aux études supérieures ou encore pour soutenir la carrière de jeunes chercheurs. Le défi est avec les plus jeunes. Il faut intéresser les garçons et les filles à des carrières en science très tôt dans le cursus scolaire. Bien sûr il y a déjà des programmes d’initiation à la recherche ainsi que le réseau des expo-sciences qui fait un travail formidable, mais il faut aussi développer l’intérêt pour la science chez ceux qui pensent que les mathématiques ou la biologie, c’est ennuyeux. Cela peut se faire en les incitant à explorer les sciences humaines et sociales par exemple. On voit souvent des modèles dans le domaine des arts ou des sports, mais moins du côté de la science et de la recherche. Depuis un an, les médias montrent beaucoup de médecins et de chercheurs, la crise actuelle a eu ça de bon. J’espère que ça va inciter les jeunes à explorer davantage les possibilités de carrière en science. Il faut également parler aux gens là où ils sont, en utilisant entre autres les médias sociaux. Aux Fonds de recherche, on essaie aussi d’amener le grand public à proposer des projets ou encore à travailler avec des chercheurs pour mieux comprendre la méthode scientifique.

Vous souhaitez donc démocratiser la science, la rendre plus accessible?

Oui, il le faut. Cet été par exemple, on a monté un projet avec le Regroupement QuébecOiseaux pour encourager les familles à prendre le temps d’observer la nature. Il est aussi intéressant de marier des disciplines, comme avec le projet COVIDArt qui visait à mettre en relation des scientifiques et des artistes pour créer des œuvres d’art publiques en lien avec la COVID-19. C’est peut-être une façon de faire à privilégier de ne pas mettre certaines carrières en opposition, d’éviter de demander à nos jeunes de choisir très tôt entre les sciences pures et dures et les autres domaines. Un bon chercheur doit être très créatif, tout comme un artiste. Il se doit d’innover.

Est-ce que la science est bien intégrée à nos politiques publiques?

Je peux bien dire tous les jours qu’il faut investir en recherche au Québec, mais le gouvernement connaît mon discours. On travaille donc avec nos trois conseils d’administration ainsi qu’avec de grands donneurs d’ordre au Québec, des PDG, des banquiers, des philanthropes, pour qu’ils s’unissent d’une même voix afin que tout le monde comprenne que la recherche fait partie de la reprise économique.

Lorsqu’on développe de nouvelles façons de faire, de nouvelles approches, de nouveaux médicaments, de nouvelles technologies, on crée des expertises, des entreprises et de nouveaux emplois. Ça contribue à faire rayonner le Québec à l’international.

Le gouvernement est très réceptif à ce discours et les ministères sont plus ouverts qu’ils ne l’étaient auparavant à consulter les scientifiques dans l’élaboration de leurs plans d’action et stratégies d’intervention. Ils voient davantage la valeur ajoutée d’interagir avec des équipes de chercheurs. Un important congrès, qui va nous permettre de mieux faire rayonner ce discours, l’International Conference on Science Advise to Governments, se tiendra à Montréal en août prochain. Il est organisé par l’International Network for Government Science Advice (INGSA), un forum destiné entre autres aux décideurs politiques et aux chercheurs pour partager leurs expériences et éclairer l’élaboration de politiques publiques, à tous les niveaux de gouvernements.

Aux fins de publication, les propos de M. Quirion ont été abrégés.