Portrait

L’humain au cœur de la mission organisationnelle

Crédit photo: Hélène Bouffard

Sophie D’Amours est rectrice de l’Université Laval depuis le 26 avril 2017. Elle est la première femme à occuper cette fonction. Professeure au département de génie mécanique depuis 1995 et vice-rectrice à la recherche et à la création de 2012 à 2015, elle a mené des recherches sur l’ingénierie des affaires, la gestion des chaînes logistiques et des chaînes de valeur, ainsi que les processus décisionnels. Madame D’Amours s’intéresse particulièrement au virage numérique des organisations.

« J’invite les entreprises, les organismes et les ministères à engager des jeunes diplômés de toutes les disciplines et à les mettre au travail sur cette question de transition numérique, parce qu’au-delà de leurs expertises disciplinaires, ces jeunes ont une perception et une compréhension de ce qui est possible dans l’univers numérique. »

IAPQ Pourquoi qualifie-t-on une université d’administration publique?

Sophie D’Amours – La société veut savoir ce qui se passe au sein des universités. Dans la tête des citoyens, l’université leur appartient. Et c’est une bonne chose qu’ils pensent ainsi. D’abord, on a une mission à caractère sociétal, soit celle de former des gens et de les préparer à faire œuvre utile comme citoyens et comme professionnels dans toutes sortes de milieux. Ensuite, on travaille en partenariat avec certains ministères, comme celui de l’Enseignement supérieur, qui joue un rôle essentiel dans le déploiement des universités, ainsi que le ministère de l’Économie et de l’Innovation, parce que la recherche publique au Québec se fait principalement dans les universités. On a donc des relations en continu avec l’État. Les universités rendent également plusieurs services à nos collectivités, par exemple en matière de recherche, d’innovation et de veille, pour soutenir les prises de décisions, tant pour les gouvernements que pour les entreprises.

Comment votre organisation a-t-elle géré la crise au printemps dernier?

La crise nous a forcés, comme tout le monde, à nous adapter et à vite mettre en place des mesures pour assurer la réalisation de notre mission dans le respect des consignes sanitaires. Mais rapidement, il a fallu voir un peu plus loin pour revenir à une gouvernance, disons plus normale. On a déployé une cellule intersectorielle où des leaders de différents secteurs de l’Université avaient le mandat d’assurer la veille, l’adaptation et la planification pour faire face à la situation. Souvent, on va mettre toutes nos équipes, tous nos cadres supérieurs, au cœur de la gestion de crise. Mais à un moment donné, il faut anticiper ce qui s’en vient, ce qui est impossible à faire si tout le monde a les deux mains dedans. Il faut dégager quelques personnes de cette opération, qui ont une bonne connaissance de l’organisation, et les amener dans un mode d’anticipation pour préparer le futur.

Dans notre exercice de priorisation, il faut aussi se demander si on est en train de mettre tout le travail sur le dos des mêmes personnes. Cela demande un effort, mais si on ne le fait pas, on risque de brûler nos gens.

Ces derniers mois, la charge émotive était importante. On ne peut pas la minimiser, on ne peut pas juste dire que nos gens « fassent avec », il faut être sensible à ça. Une des choses qu’on a dite et redite ce printemps, c’est de prendre des vacances. Au début, il y avait beaucoup de résistance. Les gens me disaient qu’ils n’avaient pas le temps d’en prendre, ou qu’ils n’avaient pas d’intérêt à le faire. Mais on a tous besoin de gérer nos énergies, notre équilibre.

Qu’est-ce que cette crise vous a permis d’apprendre?

L’être humain est fantastique dans sa capacité de faire face à des situations complexes et difficiles, lorsqu’il n’est pas seul ou qu’il ne se sent pas seul. C’est un des messages qu’on a communiqués à notre communauté. Vous n’êtes pas seuls, on est là, levez la main. Dans un contexte comme cette pandémie, sachant que ça peut durer, tout peut devenir assez mécanique, ça peut même être un réflexe de protection. Si on ne parle que de chiffres, de construction ou de désinfectant, on se déconnecte des gens. Une université, c’est avant tout des personnes. La technologie, le béton et le reste, ce ne sont que des outils.

Comment voyez-vous votre rôle de dirigeante?

Je considère que c’est un privilège d’être rectrice à un moment où nous avons un si grand défi à relever. J’ai beaucoup de gratitude envers mon équipe rapprochée, qui est exceptionnelle, qui se tient, qui prend soin les uns des autres malgré l’intensité.

Pour être un bon dirigeant, il faut essayer de voir en avant pour préparer nos équipes à ce qui s’en vient, puis les aider à déployer leur propre plan d’action. En période de crise, la pire affaire qui peut arriver, c’est que les gens ne nous donnent pas l’information. Si on ne tolère pas l’erreur, si les gens ont peur de parler, si l’information ne se rend pas à nous, on sera en retard sur les solutions. L’idée, c’est d’accepter de se faire dire parfois qu’on est dans le champ ou qu’on n’a pas compris. Il faut être en mesure de prendre les commentaires pour bien faire notre travail.

Qu’est-ce qui vous inspire?

Je suis beaucoup inspirée par notre jeunesse. On construit l’avenir avec ces jeunes. Ils réfléchissent à ce qu’ils vont vivre, ils deviennent autonomes, ils ont des ambitions, des idéaux, ils veulent construire une société qui est la leur. Ce travail, on le fait pour leur donner les outils et la connaissance afin qu’ils atteignent leurs buts, ainsi qu’un environnement qui leur permet de se surpasser. Cela m’a motivé dès le jour où j’ai décidé de faire une carrière académique. Notre université est fantastique pour ça, mais je ne me considère qu’un morceau dans toute cette grande équipe. Notre plan stratégique s’intitule justement Ensemble l’avenir. Il y a beaucoup de sens à ça.

Vous considérez-vous comme un modèle?

Quand j’ai la chance d’échanger avec des jeunes filles, des professionnelles ou des cadres, c’est vrai qu’elles me disent que je leur permets d’imaginer ce qu’elles peuvent devenir. Mais vous savez, chacun d’entre nous est un modèle dans sa vie, à un moment ou à un autre. Il faut mettre en valeur ce qu’on fait de bon, même si on considère que c’est minime. Souvent, on a des préjugés par rapport à nos forces et nos propres possibilités d’avancement. Il faut se donner le droit d’essayer. Et une fois qu’on a pris une décision pour notre avenir, il faut travailler, même si ça ne marche pas toujours. Il faut se faire confiance. Pourquoi se dire non à nous-mêmes? Il y en a d’autres qui vont s’en occuper! Ça, c’est un message que je peux porter, compte tenu de ce que je suis, une femme qui a œuvré dans un milieu d’hommes, principalement en génie, puis qui a travaillé dans des manufactures, et qui est maintenant à la tête d’une université.

Ce que j’ai appris aussi, c’est que l’égalité arrive parce qu’on travaille avec les hommes main dans la main, et qu’on fait tous ensemble avancer la pensée : celle des femmes, celle des hommes, de même que la volonté d’avoir une société plus inclusive, plus diversifiée, et donc plus riche. 

Aux fins de publication, les propos de Mme D’Amours ont été abrégés.