L’implantation du télétravail au sein de la fonction publique
Alexandre Hubert occupe le poste de secrétaire associé au personnel de la fonction publique et à la rémunération globale intersectorielle au Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) depuis août 2018. Le sous-secrétariat qu’il dirige a entre autres la responsabilité d’établir les orientations en matière de gestion des ressources humaines, de relations de travail et de santé des personnes au travail pour les ministères et organismes de la fonction publique du Québec. Il assure la coordination des négociations avec les organisations syndicales représentant les employés de la fonction publique ainsi qu’avec les associations de cadres et assimilés de ce secteur. Il soutient également la négociatrice en chef du gouvernement, en définissant et proposant les orientations et politiques gouvernementales en matière de régimes de retraite, d’assurance et de droits parentaux pour les employés des secteurs public et parapublic et pour certains groupes particuliers, et en définissant les modifications relatives à la rémunération, incluant notamment l’équité salariale.
« Dans un contexte comme la pandémie, on a vu toute l’importance du secteur public. Même si la majorité de leurs employés travaillent de la maison, les ministères et organismes ont pu assurer la continuité des services et poursuivre leur mission et leurs mandats avec le même engagement. Tout comme le réseau de la santé et celui de l’éducation, la fonction publique offre des services essentiels. C’est plutôt stimulant de travailler à trouver des solutions pour maintenir la prestation de services et aider les autorités politiques à prendre de bonnes décisions. »
IAPQ – Comment se sont déroulées les premières semaines de la pandémie dans votre secteur?
Alexandre Hubert – Mon équipe a un rôle de coordination et de communication auprès des directions de ressources humaines des différents ministères et organismes, des syndicats et des associations de cadres qui représentent le personnel de la fonction publique. Afin de s’assurer d’une réponse gouvernementale concertée et en phase avec les attentes et recommandations formulées quotidiennement par les autorités politiques, on a tenu une cinquantaine de conférences téléphoniques avec ces partenaires. Dans les premiers temps, c’était tous les jours. On avait peu de temps pour s’approprier les annonces afin de bien les comprendre et de les transmettre. On a également élaboré et diffusé plusieurs documents afin de communiquer les orientations du SCT en matière de relations de travail dans le contexte d’urgence sanitaire, comme un guide de reprise graduelle des activités, qui a suscité beaucoup d’intérêt dans d’autres administrations publiques. Ça nous a permis d’échanger et de partager les meilleures pratiques avec plusieurs organisations comme le gouvernement fédéral, Hydro-Québec et la Ville de Québec.
On était en situation de crise alors c’était plutôt intense. On nous demandait beaucoup de choses pour le lendemain, c’était sept jours sur sept. Certaines fins de semaine, j’avais hâte au lundi, car je savais que toutes les équipes allaient être en place pour m’épauler.
En mars dernier, la plupart des employés de la fonction publique ont dû se tourner vers le télétravail, alors que peu d’entre eux en faisaient auparavant. Pourquoi?
Bien que le télétravail ne soit pas une pratique prévue et définie dans les conditions de travail de la fonction publique, il était déjà utilisé sous différentes formes. Par exemple, les employés pouvaient demander à leur supérieur de travailler de la maison de temps à autre pour diverses raisons. Pour établir le télétravail de façon régulière, il fallait absolument le structurer de façon à ce qu’il puisse générer des gains, autant pour l’employeur que pour l’employé. Pour être efficace, il doit comporter une révision de l’organisation du travail et un mode de gestion sans papier. Au départ, il y avait une certaine résistance et un certain scepticisme que ça pouvait s’appliquer à la fonction publique. En 2018, on a donc amorcé un projet pilote, auquel ont participé une trentaine de ministères et d’organismes et près de 1 000 employés.
On était rendus à rédiger notre bilan, avec comme objectif de faire adopter un cadre de référence pour toute la fonction publique au printemps. Et là arrive le mois de mars. En l’espace de quelques jours, on est passé de 1 000 à 45 000 personnes en télétravail à temps plein, sans aucune préparation ou formation initiale. Au plus fort de la crise, 71 % des effectifs étaient en télétravail.
Est-ce que ce virage a modifié vos constats?
C’est sûr que ça a fait évoluer notre réflexion. Dans le cadre du projet pilote, les gens faisaient une à deux journées de télétravail par semaine. Personne n’avait testé le télétravail à temps plein. Les études démontrent un gain de productivité et d’efficience lorsque le télétravail se fait à mi-temps. Lorsqu’on l’implante mur à mur, les bénéfices tendent à diminuer.
Un des éléments qui a facilité la mise en place du télétravail au printemps dernier, c’est l’utilisation des outils de collaboration comme Teams, que les équipes de TI ont déployé partout en l’espace de quelques semaines. Nous n’avions pas cet outil pour le projet pilote. En temps normal, l’utilisation d’un tel outil aurait peut-être généré un projet pilote à lui seul! C’est un des éléments positifs de la pandémie. Ça a démontré qu’on peut être agiles et faire les choses plus rapidement, et avoir de bons résultats.
Maintenant, on sait que le personnel de la fonction publique peut faire du télétravail plus qu’une ou deux journées par semaine sans que ce soit néfaste. On est en train de rédiger une politique-cadre, basée à la fois sur le projet pilote et ce qui s’est passé durant la pandémie. Ça fait partie intégrante du projet de transformation de nos milieux de travail qui consiste à rendre disponibles à l’employé les meilleures conditions pour chacune des activités liées à son travail.
Ce projet implique aussi une transformation physique des lieux. On est en train de faire un tour de roue avec nos partenaires : la Société québécoise des infrastructures pour les espaces de bureaux, Bibliothèques et Archives nationales du Québec pour la gestion documentaire et le Centre d’acquisitions gouvernementales pour le mobilier et les outils.
Est-ce que les employés demeureront en télétravail à temps plein une fois la crise passée?
Lorsque la pandémie sera contrôlée, il est clair que les gens vont retourner sur les lieux de travail un certain nombre de jours par semaine. Combien de jours? Ça sera déterminé en fonction de la nature des responsabilités de chacun et de la réalité des organisations. Il y a certaines tâches qui se font très bien à distance alors que d’autres nécessitent une présence sur place. La politique prévoit ces éléments, et on travaille à outiller les ministères et organismes sur les activités qui sont préférables à faire en présentiel par rapport aux activités à distance. Lorsque les gens sont au bureau, ils ne devraient pas nécessairement faire la même chose que lorsqu’ils travaillent de la maison.
Qu’avez-vous observé chez les employés de l’État?
On a collaboré avec l’Université Laval à un sondage sur le télétravail qui couvre le secteur public, parapublic et privé. Plus de 12 000 employés de la fonction publique de tous les corps d’emploi y ont répondu. Les résultats démontrent que nos gens apprécient le télétravail et que la majorité d’entre eux considèrent être plus productifs. La productivité ne veut pas nécessairement dire travailler plus d’heures, mais plutôt en faire autant en moins de temps ou encore en faire plus dans le temps imparti. Au début de la crise, il y avait toutefois un niveau d’insécurité un peu plus grand. Aujourd’hui les employés et les cadres se sentent à l’aise, ils apprécient les bons côtés et souhaitent que le télétravail soit une pratique de gestion implantée de façon formelle au-delà de la pandémie.
C’est à nous de l’encadrer et d’apporter les précisions nécessaires. Il y a aussi le ministère du Travail, de l’Emploi et Solidarité sociale qui réfléchit à faire évoluer les lois du travail. Un des enjeux est de circonscrire des horaires de travail et d’assurer le fameux droit à la déconnexion. Comment peut-on offrir un équilibre entre la personne qui commence à 7 h et celle qui préfère travailler plus tard le soir? Avec les outils qu’on fournit, les gens ont plus tendance à regarder leurs courriels en tout temps. Il faut s’assurer de ne pas occasionner de nouveaux problèmes de santé et de respecter la vie privée et la conciliation travail-famille. Il faut mettre en place des balises afin que les gens puissent trouver un équilibre.
Est-ce que le télétravail amène à revoir les pratiques de gestion?
Tout à fait. La gestion à distance demande d’être axée beaucoup plus sur les résultats pour l’évaluation de la performance. Être au bureau ne donne aucune garantie de performance. Il faut viser à ce que la relation de gestion soit basée sur la confiance et l’autonomie, plutôt que sur le contrôle. Le gestionnaire laisse place à l’innovation et offre les conditions optimales pour que les meilleures idées émergent.
Le SCT collabore entre autres avec la Chaire La Capitale en leadership dans le secteur public, qui a réuni d’anciens participants du Cercle des jeunes leaders de l’École nationale d’administration publique pour réfléchir à ces enjeux et outiller les gestionnaires.
Il y a également un élément important, qui est au-delà des compétences des gens ou des connaissances, c’est le savoir-être, qui est plus difficile à évaluer lorsqu’on travaille à distance. Cela a un impact important sur la productivité, sur l’esprit d’équipe, sur le climat de travail. Un bon climat de travail va grandement aider à améliorer la performance. Il faut aussi déterminer comment on intègre les nouveaux employés. Créer une synergie avec peu de présence sur les lieux de travail, c’est tout un défi!
Avec le plein emploi, comment s’assurer d’attirer les talents au sein de la fonction publique?
L’État a des défis de recrutement dans certains secteurs, et nos mécanismes actuels de dotation n’aident pas à le rendre attrayant pour les nouvelles générations. Le processus actuel n’offre pas la souplesse requise pour permettre aux ministères d’embaucher, en temps opportun, des candidats possédant le profil recherché. Un projet de loi a été déposé pour transformer le processus de dotation afin d’acquérir une plus grande agilité en matière de recrutement et de favoriser une meilleure adéquation entre les compétences des candidats et les exigences spécifiques des emplois.
On souhaite aussi être plus proactif, entre autres en matière de recrutement à l’international, et s’ouvrir davantage aux minorités ethniques, anglophones et autochtones. Sous réserve de l’adoption des parlementaires, cette refonte de la dotation constituera un changement majeur dans les pratiques de recrutement au sein de la fonction publique. Les principes d’efficacité, d’efficience, d’égalité d’accès des citoyens à la fonction publique, d’impartialité, de transparence et de nomination au mérite seront préservés.
Aux fins de publication, les propos de M. Hubert ont été abrégés.