L’intelligence collective au service de l’éducation
Esther Lemieux a été successivement enseignante, directrice d’école primaire, coordonnatrice du développement et de la mise en œuvre des plans de réussite au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport et directrice des Services éducatifs de la Commission scolaire des Navigateurs. Elle occupe, depuis 2012, le poste de directrice générale de cette même organisation, désormais appelée Centre de services scolaire des Navigateurs (CSSDN). En croissance constante, le CSSDN veille actuellement à l’éducation de plus de 28 000 élèves répartis dans 78 établissements en milieu rural, urbain et semi-urbain. Plus de 5 100 employés y travaillent.
Mme Lemieux est détentrice d’un diplôme de 3e cycle en éducation, d’un microprogramme de 2e cycle en administration scolaire, d’une maîtrise en administration et politiques scolaires, d’un baccalauréat en orthopédagogie et d’un autre en enseignement élémentaire, préscolaire et orthopédagogie.
« Je n’ai jamais cessé d’étudier. J’ai bâti ma connaissance du milieu au fil de mon parcours académique et professionnel. Ça m’a permis de mieux comprendre les enjeux de chaque fonction. Cela s’avère très utile dans mon poste actuel. »
IAPQ – De quoi se compose le quotidien d’une directrice générale d’une organisation telle que la vôtre?
Esther Lemieux – La mission première du CSSDN est évidemment de nature pédagogique. On doit veiller à offrir des services éducatifs avec tout ce que cela comprend en matière de ressources humaines, administratives et financières, de services et d’infrastructures. La région de la Chaudière-Appalaches est en forte croissance. Depuis que je suis en poste, on a construit quatre nouvelles écoles et deux autres chantiers sont en préparation, sans compter tous les agrandissements rendus nécessaires en raison de l’augmentation de la population et de l’ajout de clientèles, comme les maternelles 4 ans. Le milieu vit aussi une importante période de gestion du changement, non seulement à cause de la crise de la COVID-19, mais aussi par la mise en place d’une nouvelle gouvernance scolaire, qui a transformé les commissions scolaires en centres de services.
Comment avez-vous traversé les premiers temps de cette tempête?
Au cours des premières semaines, tous les matins à 8 h, sans exception, j’avais rendez-vous avec mes directions de services. On prenait connaissance des directives ministérielles et on s’interrogeait sur les meilleures façons de faire les choses. Pour moi, il était d’abord essentiel de m’assurer que la cohérence demeurait au rendez-vous et qu’on mettait les pieds à la bonne place. Toutefois, s’il y avait lieu de reculer, on se permettait aussi de le faire! Tous les après-midis, parfois même le soir, je tenais une rencontre avec les 120 gestionnaires de l’organisation. On prenait le temps nécessaire pour expliquer les décisions, les nôtres comme celles du gouvernement, car ils allaient devoir les communiquer à leurs équipes par la suite. Je tiens encore ces rencontres une fois par semaine, à leur demande.
C’est souvent la communication qui fait défaut dans les grosses boîtes. Dans une organisation comme la nôtre, avec beaucoup de bâtiments dispersés sur un grand territoire, elle demeure primordiale. Je répétais souvent : « Retenez une chose : vous n’êtes jamais seuls. Nous sommes une équipe; si vous avez une question, peu importe laquelle, ne la gardez pas pour vous, appelez-moi ». En sécurisant la base, ça produit des effets positifs sur tout le reste de la chaîne.
Comment avez-vous préparé la rentrée?
Cet été, j’étais assise chez moi et j’ai vu un papillon se poser sur une fleur. Cet insecte illustre parfaitement notre situation actuelle. Il passe de chenille à papillon, après une période de confinement dans son cocon. Cela indique le changement, un nouveau départ. C’est le symbole qu’on a utilisé pour illustrer la rentrée. J’ai rappelé à mes directions qu’elles allaient accueillir des gens qui n’étaient pratiquement pas sortis de chez eux depuis quatre ou cinq mois. Des enseignants, des employés, des jeunes, des parents, qui pouvaient être anxieux, stressés, fragiles sur le plan de la santé mentale. J’avais lu des recherches de l’Université de Montréal et de l’Université Laval, de la Dre Sonia Lupien, qui est directrice scientifique du Centre d’études sur le stress humain, qui disaient toutes qu’environ la moitié des gens éprouvaient des problèmes de stress face à cette pandémie. Il fallait donc arriver à développer plus d’écoute, plus d’empathie, plus d’encouragements.
L’automne n’est pas facile, car des cas de COVID-19 sont rapportés pratiquement tous les jours. On travaille donc sept jours sur sept. Il faut cibler les priorités et délaisser temporairement le développement. On n’a pas le choix si l’on veut passer à travers cette crise de la façon la plus sécuritaire possible. Mais on s’adapte, on développe de nouvelles façons de faire; il faut être résilient. On est moins dans l’inconnu qu’au printemps dernier, c’est déjà ça. Ce qui demeure primordial, c’est de s’assurer de la réussite de nos élèves. Si on veut avoir une population instruite, qualifiée, qui contribue à une meilleure société, ça passe, entre autres, par nos classes.
Une des choses dont on parle peu, c’est tout le volet de l’entretien ménager. Sans concierges, on ne peut pas ouvrir nos écoles. J’ai tenu une rencontre en ligne avec eux, ils étaient heureux de pouvoir s’adresser directement à la direction générale. Ce sont des emplois qui méritent d’être mieux mis en valeur, comme tous les métiers professionnels d’ailleurs. Seulement en Chaudière-Appalaches, il y a 48 000 postes à pourvoir. Il s’agit d’une région avec un grand bassin d’entreprises du secteur manufacturier. On vient de concevoir un plan d’action pour mieux valoriser la formation professionnelle au secondaire. Ce sont tous des métiers très utiles à notre société! C’est ce que je tenais à rappeler à nos concierges.
Aviez-vous déjà amorcé un virage numérique?
Quand le Ministère a dévoilé son plan d’action numérique en éducation en 2018, on a mis en place notre propre projet numérique basé sur les pratiques probantes de la recherche. La première année, on a commencé par un petit réseau d’écoles, puis, l’an dernier, on l’a élargi. Un réseau englobe les écoles primaires et secondaires d’un certain territoire, selon le parcours habituel d’un élève qui suit un cheminement régulier, naturellement, d’une école à une autre. Les réseaux facilitent la transition des élèves entre le primaire et le secondaire et permettent de mieux établir les prédicteurs de persévérance et de réussite. Ça sécurise aussi les jeunes et leurs parents. Le territoire de notre centre de services scolaire est assez vaste et étendu et il dessert des clientèles qui ne sont pas uniformes. Il faut donc développer des approches un peu plus personnalisées, propres à chaque milieu de vie. Ça fait déjà huit ans qu’on fonctionne ainsi, c’est bien consolidé.
Dans le cadre de ce projet numérique, on avait libéré des employés et des enseignants afin qu’ils deviennent des leaders numériques. Cela nous a grandement facilité la tâche quand le temps est venu de passer à l’enseignement en ligne. On vit de plus en plus dans un monde numérique, un monde de technologies. Il y a encore beaucoup d’éducation à faire à cet égard, même chez les parents de nos élèves. Aujourd’hui, ne pas être capable d’utiliser ces outils, c’est un peu comme être analphabète. Il faut également s’assurer que le savoir-être soit au rendez-vous dans les échanges sur les nouvelles plateformes de communication.
Le rôle de l’école ne se limite pas aux 180 jours de classe obligatoires, n’est-ce pas?
Mon téléphone peut sonner n’importe quand, sans que cela ait un lien direct avec l’éducation ou la crise actuelle. Je dis toujours à mes gens que l’administratif, ça peut attendre. Il y a des moments où il faut mettre l’énergie sur l’être humain, pour qu’il se sente bien. Il faut que l’école soit un milieu de vie où on peut vivre en toute quiétude, où on se sent accueilli, écouté, respecté.
La crise actuelle a aussi exacerbé certains besoins, autant économiques que psychologiques. Puis, quand arrive un événement malheureux, cela entraine des répercussions directes sur les milieux de vie scolaire, et encore plus dans les milieux ruraux où tous se connaissent. Il faut soutenir les enfants, les employés, les parents aussi. On est en contact étroit avec les organismes communautaires qui offrent des services d’urgence, d’alimentation, de vêtements, d’aide aux victimes, ceux responsables des personnes avec un handicap physique ou mental, les corps policiers, les services sociaux, la santé publique et j’en passe.
Comment voyez-vous l’avenir?
Je crois beaucoup aux pratiques collaboratives. Les expertises de mes équipes en matière d’études sont semblables, mais la façon de penser de chacun est unique et c’est ce qui nous permet d’avancer, d’aller plus loin. Il faut mettre à profit les forces de chacun et mieux utiliser les connaissances des gens qui sont sur le terrain. En ce qui concerne l’avenir du réseau de l’éducation, je me fie beaucoup à la science et la recherche pour nous aider à aller plus loin. La phase d’urgence est passée, là on est en période de relèvement, mais il reste encore la reconstruction et le développement. La COVID-19 peut parfois avoir le dos large. Notre mission première demeure toujours d’éduquer et d’offrir des services de qualité aux jeunes.
Je crois beaucoup à l’apprentissage conjoint, à l’importance de développer des leaders et de former des réseaux de pratiques. Un capital collectif est toujours plus gagnant qu’un capital individuel. On s’enrichit à travailler en équipe. « Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin ». Puis, en influençant positivement le monde, nous aussi, on apprend. C’est comme ça que les choses évoluent pour le bien commun.
Aux fins de publication, les propos de Mme Lemieux ont été abrégés.