Portrait

Tirer des enseignements de la crise de la COVID-19

Titulaire d’un baccalauréat et d’un diplôme de deuxième cycle en sciences infirmières, Denis Bouchard occupe le poste de président-directeur général de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec – Université Laval depuis 2015. Auparavant, M. Bouchard a été directeur général du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Portneuf, directeur général adjoint des affaires universitaires et cliniques du CSSS de la Vieille Capitale et directeur général adjoint clinique et partenariats au CHU de Québec.

« L’Institut fait, entre autres, beaucoup de recherche translationnelle, soit de la recherche clinique transposée dans le milieu pour faire évoluer les soins. Nos médecins et chercheurs ont développé plusieurs techniques qui sont enseignées partout dans le monde. Par exemple, pour une coronographie, au lieu d’introduire le cathéter dans l’artère de l’aine, ils ont inventé la technique radiale pour l’introduire par le poignet; ça évite au patient de devoir rester couché durant 24 heures et lui permet de retourner plus rapidement chez lui après l’intervention. C’est passionnant de travailler au quotidien avec des gens qui visent l’excellence et qui sortent des sentiers battus pour pousser plus loin les soins de santé ».

IAPQ – Parlez-nous de votre organisation. Elle a une mission très spécialisée, qui va au-delà des soins médicaux?

Denis Bouchard – L’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec – Université Laval (Institut) est un établissement de soins tertiaires et quaternaires, spécialisé en cardiologie, en pneumologie et en maladies liées à l’obésité, dont la chirurgie bariatrique. Il s’agit d’une organisation vieille de 102 ans où plus de 3 500 personnes travaillent, dont 300 médecins et plus de 1 000 personnes au Centre de recherche. L’Institut a également une mission d’enseignement et reçoit environ 2 200 stagiaires annuellement dans différentes professions de la santé et du milieu administratif.

L’Institut dessert tout l’est du Québec et le nord du Nouveau-Brunswick, soit une population de 2,2 millions d’habitants. Il s’agit du plus important établissement de santé qui prodigue des soins de cardiologie tertiaire sur un même site au Canada. Annuellement, il s’y fait plus de 10 000 procédures d’électrophysiologie et d’hémodynamie surspécialisées, près de 2 800 chirurgies cardiaques, 900 chirurgies thoraciques et 700 chirurgies bariatriques.

L’Institut est un des fleurons du Québec en matière de soins et de recherche. Il rayonne partout au Canada et dans le monde. Il est, entre autres, le centre désigné à la tête du réseau en oncologie pulmonaire, le centre de référence pour l’est du Québec en chirurgie bariatrique ainsi que le centre de référence en soins tertiaires en pneumologie et en cardiologie.

Les besoins des usagers augmentent constamment. Bien que la consommation de tabac ait diminué, le cancer du poumon demeure le cancer le plus important en nombre et le plus mortel, même si le taux de survie s’améliore. Juste à l’Institut, on dénombre près de 1 000 nouveaux cas par année. C’est devenu une maladie chronique, car les usagers ont besoin d’un suivi régulier, tout comme ceux souffrant d’une maladie cardiaque ou d’obésité. Ce sont des secteurs où il y a une grande demande. Les gens vivent plus vieux, c’est une bonne nouvelle, mais ils ont besoin de soins pendant une plus longue période de leur vie. Ça sollicite beaucoup le réseau.

L’Institut est un des quatre établissements de santé désignés par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) pour y recevoir des personnes atteintes de la COVID-19. Comment cette dernière année s’est-elle déroulée?

L’année COVID-19 a été une année difficile, mais très riche en défis et en apprentissages. L’intensité n’a pas été la même d’une vague à l’autre. Lors de la première vague, personne ne savait à quoi s’attendre et on devait composer avec beaucoup d’incertitudes. Personne n’avait géré une pandémie de cette ampleur dans sa vie.

Comme il est spécialisé dans les maladies infectieuses pulmonaires, l’Institut était cependant déjà habitué à composer avec des maladies qui s’apparentent à la COVID-19. Étant le seul établissement à offrir des soins surspécialisés pour l’est du Québec, on ne pouvait toutefois pas diriger la clientèle habituelle vers d’autres établissements. Une personne atteinte d’un infarctus du myocarde a besoin de soins immédiats. Si le bloc opératoire s’infecte, s’il faut fermer parce que des employés sont malades ou en quarantaine, il n’y a pas de relève dans d’autres établissements de santé. Nos équipes ont toutefois su mettre en place les meilleures pratiques en prévention et contrôle des infections, ce qui fait en sorte qu’on a évité des ruptures complètes de services.

Lors de la première vague, beaucoup de nos employés ont prêté main-forte dans des établissements de Montréal et de la Montérégie, entre autres. De plus, notre équipe de prévention et contrôle des infections a été déployée dans presque toutes les régions du Québec pour soutenir les établissements dans la mise en place des meilleures pratiques à cet égard.

Comment avez-vous géré la crise à l’interne?

Il y a quatre ans, notre établissement a implanté un système de gestion de proximité en utilisant différents outils et comportements de gestion standardisés, comme un agenda standard, une structure de communication et des caucus. Ce modèle s’est avéré des plus efficace durant la dernière année. En passant d’une rencontre par semaine à quatre avec nos 80 cadres, ça a permis d’informer les gens rapidement et de saisir ce qui se passait dans l’organisation en temps réel, dans une cascade d’informations avec des allers-retours rapides. L’aspect le plus important de la gestion, c’est de régler les problèmes au fur et à mesure. Il faut aussi donner aux gestionnaires la possibilité et la latitude pour régler des choses à leur niveau hiérarchique. Avec cette façon de faire, les employés peuvent également s’exprimer et, si nécessaire, l’information va escalader rapidement au comité de direction. Il y a moins de surprises. Ce mode de gestion a apporté beaucoup de proximité; c’est un système agile et collaboratif. S’il y a un problème, on ne cherche pas le coupable, mais une solution, et on soutient nos équipes dans la résolution de problèmes. C’est un mode d’amélioration continue.

Quelle place prend la reconnaissance au sein de votre organisation?

Dès la première vague, on a voulu reconnaître le travail de nos gens. Par exemple, notre équipe des communications a mis en place la section L’histoire qu’on écrit ensemble sur notre site web. On a tourné plusieurs capsules vidéo pour faire connaître et reconnaître le travail de différentes professions. Au-delà de la reconnaissance organisationnelle, je valorise aussi beaucoup la reconnaissance entre pairs. Il faut montrer l’exemple pour que des comportements de reconnaissance se développent et que ça devienne une culture. J’aime rencontrer les employés des différents secteurs pour les encourager, et les gestionnaires le font également. C’est un privilège de travailler avec des personnes aussi dévouées et dédiées au quotidien, et la dernière année nous l’a encore plus démontré. Je suis très fier d’être à la barre de cette équipe.

Quels enseignements tirez-vous de la pandémie?

Les 18 derniers mois se résument en cinq mots. Et je dirais que ces comportements doivent être maintenus même après un retour à une vie un peu plus normale, car ce sont de grands acquis pour le futur.

C pour concertation. La façon dont le système de gestion de l’Institut fonctionne permet beaucoup de concertation. Pour travailler vers les mêmes objectifs, pour régler une situation, ça prend de la concertation. Et pas seulement à l’interne, il faut également se concerter avec nos partenaires : le CIUSSS, le CHU et le MSSS, pour ne nommer que ceux-là.

O pour observation. Comme on dit, tout ce qui traîne se salit! C’est important que les gestionnaires prennent le pouls du terrain. J’invite les membres de mon comité de direction à observer ce qui se passe dans l’établissement afin de pouvoir réagir rapidement lorsque la situation l’exige.

V pour veille. Dans la dernière année, on a développé un tableau de bord avec des indicateurs en temps réel pour suivre l’évolution de la pandémie. Il se met automatiquement à jour toutes les quinze minutes. Cela permet notamment de savoir si l’Institut a admis un nouveau patient COVID, combien de personnes sont aux soins intensifs, si des employés sont contaminés, s’il y a une éclosion dans un secteur, quelle est la quantité d’équipements de protection individuelle en stock, etc. Cela a été très aidant et rassurant de connaître rapidement l’état de situation réel sur la COVID dans notre organisation.

Il se fait aussi de la veille sur ce qui se passe ailleurs. On a utilisé un outil de prédiction des hospitalisations pour savoir combien de cas il y avait dans la communauté et d’où ils venaient, afin d’être en amont et de prévoir les hospitalisations pour notre établissement. Lors de l’admission d’un usager venant d’une autre région, on avait aussi le portait de la situation COVID de son milieu, et donc, son niveau de risque de contracter le virus.

I pour innovation. Dans la dernière année, l’Institut s’est réinventé en continu. En télémédecine, par exemple, on a développé en trois mois ce qui n’avait pu être réalisé en dix ans. En faisant toujours pareil, on obtient toujours les mêmes résultats. Pour aller de l’avant, on n’a pas le choix d’innover, pandémie ou pas.

Le MSSS a récemment désigné l’Institut comme centre d’excellence en intelligence artificielle et en valorisation des données. Huit personnes travaillent présentement à développer cette expertise. Par exemple, quand une infirmière prend les signes vitaux d’un usager, on est encore dans un système où il faut recopier ces informations, avec tous les risques d’erreurs que cela comporte. Le traitement des données par l’intelligence artificielle assurera entre autres l’interopérabilité des différents équipements de mesure.

D pour décision. On a vu toute l’importance de la prise de décision dans la dernière année. C’est un élément primordial. Quand une situation se présente, il faut se demander vers où on s’en va, prendre une décision et s’ajuster par la suite, si c’est nécessaire. Il ne faut surtout pas se mettre en mode attente. Les équipes de soins et de soutien ont besoin d’une équipe de gestionnaires efficace dans la prise de décision. C’est gage de réussite et d’avancement.

Ces cinq mots devront continuer de guider notre mode de gestion une fois la pandémie derrière nous. Quand on fait face à un défi, il faut tenter de transformer ça en occasion pour avancer. Ça a été une très grosse année, mais on en est ressortis plus forts. Nos équipes sont plus soudées, beaucoup d’entraide s’est développée et tout le monde est sorti de sa zone de confort et de ses tâches habituelles pour aider des collègues. C’est un des beaux legs de cette crise.

Aux fins de publication, les propos de M. Bouchard ont été abrégés.