Portrait

Ville de Saint-Eustache : « Plus loin des yeux, aussi près du coeur »

D’abord directeur général de la Corporation de développement économique de Saint-Eustache, puis directeur des services administratifs et du développement économique de cette ville, Christian Bellemare est directeur général de la municipalité depuis 2004. Il préside également l’Association des directeurs généraux municipaux du Québec depuis juin dernier. Détenteur d’un baccalauréat et de deux maîtrises, il est reconnu pour son leadership rassembleur.

« L’équipe de gestion de la Ville, qui compte environ 70 cadres, est formidable. Du fait que je travaille pour la municipalité depuis près de 20 ans, j’ai eu l’occasion de participer à l’embauche de la plupart d’entre eux. Dans une période de crise, c’est rassurant de savoir qu’on est entouré de personnes compétentes et dédiées. »

IAPQ – Comment s’est vécue la crise du printemps dernier au sein de votre municipalité?

Christian Bellemare – Une ville, c’est le service public qui est le plus près des citoyens. Leur premier réflexe, quand il y a quelque chose qui ne marche pas, c’est de communiquer avec nous. On offrait déjà une ligne téléphonique et un système de clavardage pour aiguiller les gens avec le « Saint-Eustache Multiservice (SEM) ». Dans la première phase de la pandémie, nos employés ont été sollicités sur toutes sortes de questions.

On s’est aussi beaucoup occupé de nos gens. Chacun avait ses préoccupations personnelles. Plusieurs ont souffert d’anxiété face à cette situation hors norme. Il fallait de la souplesse et encore plus d’écoute qu’à l’habitude. Dans une période plus normale, on aurait pu gérer différemment. Mais dans la tempête, il faut sortir le parapluie plutôt que de se demander pourquoi il ne fait pas beau. Au bout du compte, je pense qu’on a développé une plus grande solidarité envers nos troupes et envers nos citoyens. Notre nouvelle signature est d’ailleurs « Plus loin des yeux, aussi près du cœur ».

Est-ce que tous les employés de la municipalité sont demeurés en poste?

Il a fallu mettre certains employés en disponibilité, comme ceux du secteur des loisirs par exemple. Ceux qui le souhaitaient, et c’est la majorité, ont été affectés à d’autres tâches, notamment le soutien au secteur communautaire. Il y a plus de 200 organismes communautaires sur notre territoire, c’est énorme. On a fait, entre autres, une opération d’appels téléphoniques auprès des personnes de 70 ans et plus dont on avait les coordonnées, afin de s’assurer qu’elles allaient bien et qu’elles n’étaient pas laissées à elles-mêmes. De plus, les citoyens de tous âges en situation de vulnérabilité temporaire en raison de la pandémie pouvaient s’inscrire à nos services d’accompagnement, afin que des ressources puissent être coordonnées pour les aider. Tout le monde a mis l’épaule à la roue pour remplir notre mission.

Vous avez sûrement eu à collaborer avec plusieurs instances pour gérer la crise?

On a notamment tenu des réunions chaque semaine avec les représentants syndicaux pour les tenir au courant, car les conventions collectives étaient complètement chambardées. On parlait régulièrement avec des municipalités semblables à la nôtre comme Blainville, Repentigny, Saint-Jérôme, Mascouche et les municipalités de notre MRC pour ajuster nos décisions et se coordonner.

Lorsqu’on a eu l’épisode de la grippe H1N1 en 2009, on a mis en place une structure permanente en sécurité civile, qui organise des rencontres avec les responsables de toutes les municipalités de la région trois fois par année. On y parle d’enjeux locaux comme les inondations, parce que ça nous touche beaucoup. On fait aussi des exercices de simulation d’incidents de diverses natures. Le 10 mars dernier, le comité s’est réuni dans une formule élargie et a invité un médecin de la santé publique, la docteure Marie-Claude Lacombe, pour parler de la COVID-19. C’est à partir de ce moment-là qu’une petite boule d’angoisse a commencé à monter. On a réalisé que ça s’en venait vraiment chez nous. Tout le monde a réellement pris conscience de la gravité de la situation ce jour-là, alors on a commencé à se préparer.

Quand je repense à cette journée, je me dis que c’était une folie de réunir toutes ces personnes dans la même pièce! Il y avait là tous les coordonnateurs de sécurité civile, les responsables des corps policiers et d’incendie, des gens de la santé publique, des élus, tout ça sans distanciation, sans lavage de mains ni masques! Mais cette rencontre nous a permis de tous avoir la même information et de se préparer ensemble. On avait déjà un plan d’urgence pandémie au sein de la municipalité avec des mesures sur la prévention et l’hygiène, la désinfection des lieux de travail et des lieux publics, le plan de continuité des affaires, etc. On l’a ajusté à la lumière des informations reçues à ce moment-là et on l’a tenu à jour au quotidien.

On a transformé notre salle du conseil en « war room », parce que c’était notre plus grande salle. Les premiers jours, on prenait des décisions aux deux minutes. Ça chamboule des choses. Parfois, on n’avait même pas le temps de faire le tour de la question. Il fallait aller vite, c’était un tourbillon jumelé à beaucoup d’insécurité, car les décisions pouvaient avoir des conséquences sérieuses sur la santé des gens.

Avez-vous développé des initiatives particulières?

J’ai demandé à notre expert en géomatique et statistiques de faire de la veille pour suivre l’évolution de la pandémie sur notre territoire. Quand les modèles ont commencé à sortir, on avait besoin de savoir si on était en haut, en bas ou dans la normale. Cela nous a aidés à prévenir et à mieux réagir. On a aussi fait une veille auprès d’autres municipalités du Québec, mais aussi avec trois municipalités françaises de grosseur comparable à la nôtre : Cahors, Carcassonne et Chalon-sur-Saône, puisque la France avait quelques semaines d’avance sur nous. Une personne était chargée d’aller voir tous les jours leurs sites Internet, leurs réseaux sociaux et les médias locaux pour voir quels étaient les enjeux et comment ils les affrontaient.

Du côté des loisirs, nos bibliothèques ont mis en place le concept de paquets mystères. Comme les usagers de la bibliothèque ne pouvaient plus demander des suggestions de lecture au personnel, nos employés ont monté des lots de cinq documents pour différents types de lecteurs : amateurs de romans policiers, de biographies, d’histoires d’amour, etc. Au fil du temps, d’autres paquets ont été assemblés, mais cette fois pour des clientèles spécifiques comme les nouveaux parents, les proches aidants, un départ en appartement, etc. Il arrive même que des usagers nous fassent des demandes spéciales sur des thèmes qui les rejoignent tout particulièrement.

Comment entrevoyez-vous l’automne?

Les enjeux de l’automne vont être différents de ceux du printemps. En mars, c’était une page blanche qu’il fallait réécrire chaque jour. Actuellement, nos enjeux de services aux citoyens sont réglés. Ce qui m’inquiète pour les semaines et les mois à venir, c’est la question des ressources humaines. Au printemps, il y a eu très peu de cas parmi nos 700 employés et aucune contamination collective. On doit maintenant faire face à cette possibilité pour éviter le pire et les bris de services.

Ce truc microscopique a changé notre vie à tous les niveaux. On est bien peu de choses. Il faut faire preuve d’humilité, travailler avec notre monde et prendre soin de lui. On oublie parfois que la vie continue : on doit faire des embauches, rendre les services à nos citoyens. Ce ne sera pas comme avant, mais il faut trouver une façon de revenir à une certaine normalité. Il faut développer notre agilité et notre résilience.

Aux fins de publication, les propos de M. Bellemare ont été abrégés.